Pages blanches, taches d'encre et réflexions d'un idéaliste

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vendredi 8 février 2008

Un petit pas pour l'homme, un grand bond dans le passé

Il y a des jours comme ça où tout va mal : rhume monstrueux, pied dans l'atelle, froid, manque de sommeil et ... froid.

Le réveil a été dur ce matin. Le rythme de la fac ne m'a pas habitué à me lever aussi tôt, et c'est particulièrement vrai ce semestre. Les yeux pas tout à fait droits dans leurs orbites, j'arrive néanmoins à prendre une douche, m'habiller, et marcher jusqu'au tram, le tout avant 7h30 ! Alors que je me rends dans le centre, j'observe la ville qui se réveille dans une faible lueur. Les rayons du soleil ne passent pas encore la barrière naturelle que créent les cimes montagneuses, et une couche de rosée, figée par le gel, maintient encore le paysage dans un semblant de sommeil. Malgré l'obscurité, la cité est en fait réveillée depuis un moment déjà, mais moi, j'hiberne. Il me faut attendre le choc du temps et la puissance d'un retour en arrière, pour prendre pleinement conscience du lieu dans lequel je me trouve, au pied de la bastille.

Avec les traceurs, je suis déjà passé à de nombreuses reprises devant cette église du Saint Laurent. De taille modeste, elle reste discrète, camouflée par un enduit gris qui lui donne un visage austère. Il y a là un musée fermé au public pour cause d'aménagements de sécurité. Chanceux étudiants, nous y avons un cours d'archéologie médiévale avec Renée Colardelle. Elle a fait sa thèse sur le site et le connait donc particulièrement bien.
Derrière elle, nous pénétrons dans cette église, dans un monde humide et froid de vieilles pierres. Nous retournons surtout plus de quinze siècles en arrière.
A la fin du IVème, ou au début du Vème s. un baptistère est construit au nord, sur la rive droite de l'Isère. Le long des routes s'étendent des nécropoles, et pour une raison inconnue, le site du Saint Laurent se développe. Quelles reliques y a-t-il ? Nous ne savons pas, cependant l'archéologie a permis de constater que le lieu était particulièrement fréquenté, à tel point qu'un véritable circuit, avec un sens de circulation semble avoir été mis en place très tôt à une période durant laquelle le christianisme se développe. Au VIème s. quatre branches sont construites, formant une église à la forme très particulière, véritable complexe funéraire, qui permettait aux Grenoblois de se recueillir sur les tombes des premiers chrétiens, béatifiés par le culte populaire.
L'église va évoluer, et continuer à être utilisée jusqu'au XX ème s.. Le musée qui voit désormais le jour sur ce site a pour but sa mise en valeur. Un ensemble de passerelles métalliques permet (et permettra si l'organisation actuelle est conservée) de circuler dans l'église selon un circuit qui, dans un sens, fait écho aux pélérinages des fidèles des premiers siècles de notre ère.
La toute première est en surplomb, à quelques mètres au dessus des plus profonds niveau et permet de bien se rendre compte de l'enchevêtrement des constructions successives et des tombes de pierre. Une impression étrange m'a envahie en voyant l'irrégularité des murs. D'un regard, j'ai compris qu'il y avait là des traces de bâtis d'époques différentes, mais l'ensemble paraissait inextricable. Pourtant les archéologues ont tout clarifié : les différentes constructions, les techniques utilisées, la position des tombes, et la manière de célébrer les morts dans la nécropole. Les vieilles pierres ont une âme et une histoire. Avec acharnement et rigueur, les scientifiques peuvent la faire ressortir.

Dans ce genre de sciences, il y a beaucoup d'hypothèses mais la minutie du travail permet quand même quelques certitudes. Si toute la lumière ne peut pas être faite sur l'histoire de ce lieu hérité du passé, nous avons malgré tout le « devoir de transmettre en l'état » ces vestiges. Réflexion importante. Je me suis retrouvé dans ces propos de Renée Colardelle. Il ne faut pas chercher à reconstruire systématiquement, et il y a probablement plus à faire passer en dégageant les ruines proprement qu'en effectuant un travail de restauration, aveugle, et systématique.

Les pierres doivent parler, mais il ne faut pas chercher à trop leur en faire dire.

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