Pages blanches, taches d'encre et réflexions d'un idéaliste

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samedi 18 octobre 2008

Questions de temps

Un peu de culture ne fait jamais de mal. Voici la partie que j'ai traité d'un exposé sur la notion du temps à Rome et à Pompéi. C'est l'un des travaux qui, jusqu'a maintenant, m'a demandé le plus de travail de synthèse. D'abord, pour trouver comprendre les sources, ensuite pour essayer de réexpliquer le tout à peu près clairement. Rédigé mais prévu pour l'oral, certaines formulations sont probablement lourdes ou redondantes, mais si vous n'êtes pas contents, vous n'aviez qu'à être là vendredi matin en TD pour écouter ceci en "Direct Live"...



Questions de temps :
Du calendrier annuel à la journée pompéienne

En 79ap. J.C., l'éruption du Vésuve fige le temps à Pompéi, nous laissant un cadran solaire dans un bel état de conservation, devant le temple d'Apollon dans le noyau samnite de la ville. Cet objet conçu pour voir l'avancée des heures rappelle que les Pompéiens et leurs contemporains savaient mesurer le temps. Cependant, dans une société vivant au rythme de la lune, du soleil et des dieux, la manière de le visualiser a évolué avec la compréhension des mécanismes du monde tout en gardant une grande part de mythe.

Pompéi reste un cas particulier et dans notre recherche pour mieux comprendre la notion de temps nous avons du élargir nos recherches à l'Italie romaine : nous nous sommes intéressés à Rome, pour laquelle les sources écrites sont plus nombreuses et nous permettent d'approcher la notion de calendrier, à l'image des écrits de Vitruve et des Saturnales de Macrobe.

Nous allons chercher à comprendre la vision du temps des Pompéiens et de leurs contemporains avec les moyens dont ils disposaient pour le mesurer, mais aussi en nous intéressant à la part de mythe, à l'impact de la religion dans la vie et dans la division de la journée.

Pour ce faire, nous allons d'abord explorer l'idée de calendrier, la division de l'année, les mois dans une organisation très structurée de la vie religieuse et politique. Ensuite, nous nous intéresserons à la semaine et à la journée, à l'utilisation de cette dernière par l'individu ainsi qu'aux systèmes de mesure du temps. (partie développée par une camarade que je n'ai pas à disposition)


I. Un calendrier annuel, pour la vie civique et religieuse

A Rome, la religion et la politique sont intimement liées. Le culte des dieux les plus importants et un certain nombre de cérémonies publiques sont effectuées par des magistrats et montrent à quel point la religion marque le calendrier à Rome.

A. Calendrier lunaire, calendrier solaire, l'année.

Dans l'histoire de Rome, un certain nombre de calendrier ce seraient succédés, c'est à eux que nous allons nous attacher dans un premier temps afin de comprendre la division de l'année en mois.

A l'origine de Rome, c'est un calendrier lunaire, i.e. basé sur les cycles de lune, de 10 mois qui est utilisé. Son origine est attribué à Romulus, dans les textes, mais il semble plus probable que ce soit une réutilisation d'un calendrier étrusque. L'année ne faisait alors que 304 jours.

Après Romulus, la légende attribue à Numa Pompilius, roi de Rome, la mise en place d'un calendrier lunaire de 355 jours. L'année est divisée en 12 mois. Cependant, l'année lunaire présente un décalage avec l'année solaire. Il y avait donc l'obligation de rattraper le retard en « intercalant » (mensis intercalaris) un mois, c'est à dire en rajoutant un mois tous les deux ans. Plusieurs auteurs antiques attribuent cette évolution à Numa (Ovide, Solin, Tite-Live, Cicéron : Des lois). Il faut nuancer les écrits de ces auteurs, car il semble plus probable que ce calendrier lunaire de douze mois date de la période des décemvirs (decemviri legibus faciundis) qui de 451 à 450, donc au milieu du V ème s. remplacent les consuls et rédigent les lois des Douze Tables (texte juridique fondateur à Rome).

La grande modification du calendrier vient avec Jules César. En 45 av. J.C. , il prend conseil auprès d'un astronome d'Alexandrie, Sosigène (qui vit au Ier s. av JC). et crée le calendrier julien, calendrier solaire de 12 mois. Cette fois, l'année fait 365 jours avec des mois de 30 et 31 jours . Tous les 4 ans, un année bissextile fait 366 jours : c'est à dire qu'on ajoute un jour le sixième jour avant les calendes de Mars (i.e. Bis sextum, doublement du 6ème jour).

Pour dater les années, les romains utilisaient divers systèmes que nous allons voir maintenant.

Il y a la datation renvoyant à la fondation de la ville A. U. C. (Ab Urbe Condita) usuellement 753av JC. Un deuxième mode de comptage consiste à prendre comme point de référence l'expulsion des rois, en 509av JC indiquée par l'abréviation P. E. R. Post Exactos Reges.

Cependant le système qui semble prévaloir est le suivant : les consuls prennent leur charge en début d'année (le 1er janvier depuis 153av JC) c'est pourquoi on avait pour habitude de nommer l'année du nom des deux magistrat les plus importants de Rome La liste des années désignées par les noms des magistrats s'appelle fasti consulares. Dans les textes, nous trouvons les noms des consuls avec la mention consulibus. Un exemple pris dans les Res Gestae Divi Augusti, qu'Auguste devient Pontifex Maximus : P. Sulpicio C. Valgio consulibus, sous le consulat de P Sulpicio et C. Valgio. (en 12 av. J.C.)


B. L'origine du nom des mois

L'aspect technique de la division en mois étant maintenant un peu plus clair, afin de mieux comprendre l'influence du religieux et du politique, nous allons nous intéresser maintenant à une question étymologique, d'ou viennent les noms des mois ?

Nous avons vu précédemment qu'il existait un calendrier lunaire de 10 mois. C'est de celui-ci qui viennent la plupart des noms des mois. Mars, alors premier mois de l'année est dédié par Romulus au dieu de la guerre.

Pour avril, l'origine du nom est contestée (Vénus ou mois de la floraison ?). Dans la même idée, l'origine de mai et juin est contestée. Macrobe donne comme explication la plus probable que Mai vient de maiores et Juin de juniores, symbolisant là la division de l'état romain, entre les jeunes qui tiennent les armes et les anciens qui ont la sagesse et la réfléxion. Du cinquième au dixième mois, les noms sont alors encore transparents : quintilis (actuellement juillet), sextilis (actuellement aout), september, october, november, dicember. Ils indiquent simplement le numéro du mois.

Numa aurait lui ajouté deux mois : Januarius, Janvier, placé après le dixième mois et avant le premier. Dédié au dieu à double face, Janvier regarderait donc aussi bien vers l'arrière, l'année passée, que vers le futur, l'année à venir. L'autre moi Février, est lui consacré à Februus, une personnification des rites purificatoires qui ont lieu tout au long du mois (ex: amburbium purification de la ville).

Finalement deux mois vont changer de nom pour donner le calendrier que nous connaissons. Ce sont les 5ème et 6ème mois de l'année lunaire de Romulus.

En 44av JC, Marc Antoine, consul propose une loi pour que quintilis reçoive le nom du dictateur Jules César pour honorer le mois de sa naissance.

Sextilis change lui de nom en 8av JC grâce à un senatus-consulte dont voici les termes :

« Considérant que c'est au mois de sextilis que César, investi du pouvoir de commandement a exercé son premier consulat, qu'il est entré en triomphateur à Rome à trois reprises, que ses légions sont descendues du Janicule et ont suivi ses auspices et le respect du serment militaire , que c'est encore au cours de ce mois que l'Egypte a été soumise à la domination du peuple romain et dans ce mois est et a été très heureux pour l'Empire romain, le Sénat décide de lui donner le nom d'Augustus. »

Sextilis est donc devenu notre mois d'août.


C. Calendes, ides et nones

Une subdivision ancienne scinde le mois en trois périodes. C'est la partie la plus compliquée de mon propos puisque ce système nous est désormais complètement étranger. Nous allons essayer d'éclaircir le fonctionnement de la division du mois en calendes, nones et ides.

A Rome, jusqu'à la fin du IVème s. av JC, les calendriers n'étaient pas affichés mais annoncés chaque mois par des prêtres. Ce système d'annonce se base sur une division du mois qu'il faut comprendre pour espérer comprendre l'influence de la religion dans le calendrier romain, mais aussi pour comprendre les très nombreuses inscriptions -souvent datées- que les pompéiens nous ont laissés sur leurs murs.

Intéressons nous d'abord à la division du mois en trois périodes :

  • du lendemain des calendes aux nones.

  • du lendemain des nones aux ides.

  • du lendemain des ides aux calendes du mois suivant.

Avec les modifications du calendrier que nous avons vu dans une première partie, des jours ont été rajoutés aux mois, décalant nones et ides. Ainsi les nones se déroulent le 5 du mois mais le 7 pour Mars, Mai, Juillet, Octobre et les ides sont le 13 du mois, mais le 15 pour Mars, Mai, Juillet, Octobre. En revanche, la durée des ides (i.e. Du lendemain des nones aux ides) reste fixe : 8 jours.

L'étymologie nous aide à comprendre ceci : nones voudrait dire neuvième jour, ce qui indique bien la durée de l'intervalle des nones aux ides. Une deuxième hypothèse plus religieuse nous donnerait pour nones l'expression nouae initium observationis, « nouveau cycle d'observations religieuses ».

Pour ides, il y a plusieurs hypothèses incertaines, mais ce qui est sur c'est que dans le calendrier lunaire, les ides tombent au milieu du mois, quand la lune est pleine.

Maintenant, voyons deux exemples d'inscriptions pompéiennes illustrant toute l'importance de la datation pour des sujets plutôt léger, cela nous montre que ce système qui paraît compliqué était couramment utilisé :

HIC FVTUI

XIX K SIIP XIII K SIIP

Ici j'ai baisé, le 19 des calendes de septembre (15 aout) et le 13 des calendes de septembre (21 aout)

CIL 4, 4260.

Idibus Martia / in sumptum sumisi

Le jour des ides de mars, je me suis laissé aller à la dépense

CIL 4, 8013.


D. Jours fastes et jours néfastes

La religion est omniprésente sous la République et l'Empire et a une grande importance sur le calendrier, qu'elle détermine. Nous allons maintenant nous pencher sur la question des jours fastes et néfastes. Mais d'abord, voyons en quoi ils sont liés aux calendes et aux nones

Sous la République et jusqu'à la fin du quatrième s. avant notre ère, une annonce orale était faite sur le Capitole, le jour des calendes. Le Rex sacrorum annonçait alors les jours fastes et la jours néfastes. Après quoi, la population devait revenir aux nones afin de savoir quelles fêtes seraient célébrées dans le mois.

Revenons un instant sur le mois intercalaire pour voir qu'à toute les époques, religion et politique ont été très liés dans la société romaine. Ce sont les pontifes qui décidaient aussi du placement d'un mois intercalaire. Cette intercalation était notamment une manoeuvre politique permettant de réduire la durée de la charge d'un opposant qui avait été élu, dans une société de magistrats-pontifes. Ainsi, le pouvoir religieux faisait donc efficacement pression sur le pouvoir politique.

Par la suite, le Pontifex Maximus, chef de la religion romaine annonce le calendrier annuellement en indiquant les jours fastes et les jours néfastes.

Les jours fastes, il est possible de rendre la justice. Il y en a sous la République 235, dont 192 jours sont réservés pour les comices et les élections. On parle alors de jours comitiaux.

A l'inverse, il y a 109 jours néfastes où tout procès est interdit. A cette occasion se tiennent les fêtes publiques et les jeux. Pompéi après s'être soumise à Sylla, a intégré la religion romaine, comme l'a prouvé la présence de statuettes de la triade Capitoline (Jupiter, Junon, Minerve) dans le temple de Zeus Meilichios (en règ VIII, non loin forum triangulaire). La présence de lieux dédiés aux divertissements (Odéon, Amphithéatre) mais aussi les nombreux temples dédiés aux cultes publics (temple de la fortune Auguste, temple des Lares, temple d'Apollon en Reg VII par ex), montrent la vivacité d'une vie publique et religieuse à Pompéi qui répond à un calendrier. Ainsi, aux alentours du 5 juillet, se tenaient à les ludi Apollinares, dédiés à Apollon, durant lesquels les duumvirs de la cité faisaient preuve de leur générosité en financant les jeux : vie politique et vie religieuse sont bels et bien mêlés et obéissent à un calendrier précis.



1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très intéressant. Bien que j'avoue que cela ne me viendrait pas à l'idée une seconde d'aller me plonger dans des bouquins pour en savoir plus sur la division du temps dans la société romaine... :)

Merci d'avoir fait ce travail pour nous.